Shigeru ISHIBA vient d’annoncer son gouvernement. Et autant son discours de politique général est vague au possible, autant limiter son message a son costume de Buu comme certains médias le font, est révélateur d’un niveau d’apolitisme assez astronomique. Parce que son gouvernement, c’est clairement 50 nuances de réactionnaires.

Petit point politique japonaise

Impossible de traiter le sujet correctement en quelques lignes mais il est quand même nécessaire de clarifier quelques éléments en amont.

Le Japon est une démocratie parlementaire. Le premier ministre est donc désigné par le parti ou la coalition ayant le plus de sièges au parlement.

A ce titre, c’est le Parti Libéral Démocrate (PLD) qui tient les rênes du pays depuis la seconde guerre mondiale, souvent en coalition avec le Komeito, parti politique rattaché a la secte bouddhiste Sokka Gakkai.

Loin d’être un monolithe, le PLD est plus une coalition de factions allant du centre-droit à l’extrême droite révisionniste la plus décomplexée, en passant par diverses tendances économiques, des plus néolibérales (comme Junichiro KOIZUMI) à des versions un peu plus keynesiennes comme le premier ministre sortant KISHIDA et son Nouveau Capitalisme. Même si la révision de la constitution pour autoriser une armée et des opérations militaires est au coeur des statuts du parti, les différentes factions ont des positions assez variables sur le sujet et sur les relations avec ses voisins, au premier titre desquels la Chine et les deux Corées (et le rapport à la colonisation japonaise de ces deux pays).

Les relations entre les différentes factions sont loin d’être apaisées mais se règlent en interne, loin des caméras. Beaucoup de lois sont d’abord rédigées au sein du PLD avant d’être proposées au parlement.

Sur fond d’anticommunisme à partir des années 1950, les liens du parti avec les yakuzas, appelés pour casser les grèves ou les manifestations, sont attestés, y compris au sommet du parti. Ces dernières années, ce sont les liens avec la secte ultraconservatrice, réactionnaire et révisionniste Nippon Kaigi ainsi qu’avec la secte Moon du même acabit, qui font les gros titres.

Pour en revenir à la nomination du premier ministre, la coalition PLD-Komeito nomme généralement son secrétaire général (ou “président”) pour le poste de premier ministre. Si le mandat est d’une durée de 3 ans renouvelable 2 fois, dans les faits, les logiques de faction et la popularité du premier ministre en poste raccourcissent souvent leur mandat.

Le secrétaire général est élu par les parlementaires du PLD avec une partie “vote du public” par les adhérents du parti (pour le premier tour) ou un vote par département (pour les tours suivants). A aucun moment, les citoyens ne sont consultés ou appelés aux urnes. Le vainqueur est représentatif des guerres d’appareil internes plus que des tendances et aspirations des japonais.

Un gouvernement militariste

Le premier ministre KISHIDA et son gouvernement ayant une cote de popularité au fond du trou, KISHIDA a annoncé renoncer à se présenter à sa propre succession au poste de secrétaire général du PLD, mettant par la même fin à son mandat de premier ministre et à son gouvernement.

Au terme du vote interne au PLD, Shigeru ISHIBA a été nommé à sa succession et il a été confirmé au poste de premier ministre le 1er octobre 2024 et a annoncé son gouvernement dans la foulée.

Photo d'Ishiba et Koizumi sur le navire d'escorte Shirane en 2003 (photo Kyodo)

Ayant été plusieurs fois ministre de la défense, ISHIBA prend le sujet bien au delà puisqu’il se définit comme otaku de l’armée. Et il s’est entouré de parlementaires partageant ses lubies, comme le notent de nombreux journaux.

A l’exception de Seiichiro MURAKAMI, tous les membres du cabinet veulent amender la constitution pour retirer la clause de pacifisme (l’article 9), et une grande majorité veulent pouvoir lancer des attaques préventives contre des bases ennemies. En soit, rien de surprenant, c’est au coeur des statuts du PLD depuis sa création.

ISHIBA veut que le Japon ait les capacités de créer la bombe atomique.

Une coalition difficile

Le gouvernement ISHIBA est annoncé après une élection interne au PLD à couteaux tirés entre Shigeru ISHIBA et Sanae TAKAICHI. Si au final ISHIBA a été nommé secrétaire général, il n’a obtenu que 21 voix d’avance sur TAKAICHI (215 contre 194). Tous deux visent le poste depuis des années, sont tous deux ultra-militaristes.

Cherchant à apaiser les tensions internes et à présenter un front uni après les différents scandales qui ont secoué le parti ces dernières années (liens avec la secte Moon, détournements de fonds par les factions…), ISHIBA a proposé un poste a TAKAICHI, autant dans le parti qu’au gouvernement, qui a refusé, préférant placer ses pions pour les prochaines élections et alimentant les factions d’opposition internes.

Il est aussi notable que près de la moitié des ministres choisis (9 sur 19) font parti du groupe des Enfants de Koizumi. Ce groupe de 83 parlementaires avait été sélectionné comme assassins pour les législatives de 2005 par le premier ministre Junichiro KOIZUMI pour faire perdre les parlementaires du PLD qui s’étaient opposés a ses réformes ultralibérales. Drôle de symbole d’unité.

Un gouvernement woke ? Ou d’ouverture ? Vraiment ?

Avec son soutien a la séparation des noms des époux et la possibilité pour une femme de devenir impératrice, ISHIBA pourrait passer pour progressiste, surtout par rapport à TAKAICHI qui cite régulièrement Thatcher comme modèle, vante Hitler et traine avec des néonazis.

Avec le mariage pour tous (soutenu par 68% de la population dans son ensemble et jusqu’a 90% par les vingtenaires et trentenaires), la possibilité pour les femmes mariées de garder leur nom de naissance et la possibilité pour une femme d’accéder au trône impérial sont les 3 sujets “progressistes” politiques de ces dernières années.

Cependant, le fait qu’une grande majorité des membres du gouvernement (13 sur 19) soient membres actifs de la secte/lobby ultra-conservatrice Nippon Kaigi laisse de gros doute sur la possibilité d’avancées sur ces sujets. Plus surprenant, au moins cinq des ministres ont des liens avec la Secte Moon, autre secte aux positions ultraconservatrices, et ce malgré le scandale provoqué par la révélation de ces liens suite à l’assassinat de Shinzo ABE.

Et pas besoin de juste se baser sur cette impression, presque tous ont été interrogés sur ces sujets en vue des élections législatives ou sénatoriales de ces dernières années :

  • Mariage pour tous : 10 contre, 5 pour
  • Nom de famille de naissance : 3 contre, 12 pour
  • Impératrice : 5 contre, 4 pour

(Tous ne répondent pas ou répondent que c’est un non-sujet)

Sur un sujet connexe, 12 des membres du gouvernement s’opposent à la mise en place d’un système de quota de candidates lors des élections législatives et sénatoriales pour augmenter le nombre de parlementaires femmes à la Diète. Alors que le gouvernement ne compte que 2 femmes au poste de ministre, au plus bas depuis des années.

Alors que le procès en révision de Iwao Hakamata l’a enfin acquitté après 50 ans dans le couloir de la mort après que la police ait bidonné des preuves, j’étais positivement surpris de voir que Tetsuo SAITO avait été membre du groupe de travail sur l’abolition de la peine de mort. Mais aussitot douché par les remarques du nouveau ministre de la justice qui considère que malgré tout, son abolition serait “innapropriée”.

Un ministre plus Power que Soft

La palme du ministre le plus conservateur revient à Minori KIUCHI, le ministre en charge du Cool Japan.

Pour faire simple, il est opposé à toutes les causes progressistes mentionnées dans cet article. Il veut que le Japon soit plus aggressif avec la Chine et la Coree du Sud. Il est membre de tous les groupes les plus conservateurs de la Diète. Affilié à la Secte Moon, son histoire avec Nippon Kaigi va plus loin que celle de ses collègues car son père est un cadre de l’organisation et il a donc toujours baigné dedans.

Il fait aussi partie des politiciens d’extrême droite qui trouve que le systême éducatif est noyauté par des “marxistes” et qu’il faudrait mettre les enseignants et leurs syndicats sous tutelle.

Et, cerise sur le gateau : il veut que le Japon possède la bombe atomique.

Bref, comme ministre en charge du Soft Power, on peut s’attendre à une offensive réactionnaire pendant son mandat.

Pour conclure

Après des premiers articles très apolitiques, les journaux japonais commencent à sortir les dossiers sur les différents ministres.

L’opposition n’est pas en reste, mettant en avant que le changement de gouvernement ainsi que la dissolution du parlement est un moyen pour le PLD d’échapper aux commissions d’enquête parlementaires sur les détournements de fonds du PLD, scandale qui perdure depuis un an, malgré les tortillements contrits des membres du parti pris la main dans les caisses.

Quels que soient les résultats des élections législatives du 27 octobre (suite à la dissolution voulue par le PLD), il y a peu de chances que la tendance conservatrice et militariste impulsée par ISHIBA se recentre.